Une maison de briques rouges typique du Nord, un accueil chaleureux de la part des locataires – Djime et Kadjidja Abdelbassit – juste avant que leurs quatre enfants ne rentrent de leur matinée scolaire pour se restaurer et se divertir en regardant quelques clips musicaux sur Youtube… A première vue, la famille Abdelbassit mène une vie normale et l’on croirait aisément qu’elle est installée à Sin-le-Noble depuis plusieurs années, pour ne pas dire depuis toujours.
Pourtant, il n’en est rien. Arrivée en France en décembre 2017 suite à l’engagement présidentiel d’accueillir 3 000 réfugiés contraints de quitter des pays d’Afrique sub-saharienne pour des raisons de sécurité, la famille s’est installée dans cette localité des Hauts-de-France depuis seulement 3 mois, en mars 2018.
Pour en arriver là, trois ingrédients ont été essentiels : un important effort d’adaptation de la part de la famille, un accompagnement social aux contours inédits mené par les équipes de France Horizon et une solidarité sans faille d’un bailleur privé et d’un réseau de bénévoles pleinement engagés.
DES CAMPS DE RÉFUGIÉS DU TCHAD À SIN-LE-NOBLE : UNE RECONSTRUCTION EN 4 ÉTAPES
1. Novembre 2017 : Pré-sélection de la famille, dans un camp de réfugiés du Tchad, par le Haut-Commissariat aux réfugiés du fait de leur besoin manifeste en protection et entretien avec l’OFPRA en vue de demander l’asile et préparer l’acheminement en France.
2. Décembre 2017 : Arrivée des 6 membres de la famille en France avec 49 autres réfugiés – en provenance du Tchad et du Niger – à l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle.
3. Décembre 2017 à Mars 2018 : Hébergement et accompagnement par France Horizon Strasbourg dans un centre d’hébergement collectif transitoire. Conçu comme un « sas » d’acclimatation avant une insertion durable, la plupart des démarches essentielles ont pu y être réalisées :
- Première scolarisation des enfants
- Amorce de l’apprentissage du français pour les non-francophones
- Accès aux soins
- Ouverture des droits (CAF, CMU, RSA…)
- Apprentissage des codes culturels français
4. À partir de Mars 2018 : Accueil et installation de la famille dans un logement, en bail glissant, proposé par un bailleur privé (M. et Mme Parmentier) et accompagnement social mené de manière complémentaire par France Horizon Hauts-de-France (via Abdelkrim, travailleur social, et Amélie, directrice adjointe) complémentaire au soutien d’un réseau local d’une dizaine de bénévoles en lien avec le bailleur.
UN TEMPS D’ACCLIMATATION INÉDIT GÉRÉ PAR FRANCE HORIZON
Pour la venue de ces personnes réfugiées sub-sahariennes, l’Etat a mandaté France Horizon pour expérimenter ce qui était alors, en 2017, une première en France : un hébergement provisoire collectif dans un établissement conçu comme un lieu d’acclimatation. Son objectif ? Permettre aux personnes de prendre leurs marques culturelles et entreprendre toutes les démarches administratives essentielles en vue de préparer leur future insertion sociale.
« D’une durée maximale de 4 mois, ce mode de prise en charge a été une réussite » explique Abdelkrim et Amélie, travailleur social et directrice adjointe de France Horizon Hauts-de-France qui ont pris le relais de l’accompagnement social de la famille après leur départ de ce centre localisé en Alsace. « A leur arrivée à Sin-le-Noble, le maximum avait été réalisé par les équipes de France Horizon Strasbourg. CAF, CMU, RSA, finalisation des procédures de régularisation, première scolarisation… ».
Un sentiment que M. et Mme Parmentier, propriétaires louant la maison dans laquelle loge la famille, appuient. « Nous avions déjà précédemment accueilli dans la Somme, une famille : son installation dans le logement et la gestion des enjeux d’ordre administratif furent difficiles à mener de front par la famille et l’association l’accompagnant alors. Ici, cette acclimatation de quelques mois en Alsace a grandement facilité les choses et la prise en main du logement par la famille mais l’actualisation administrative avec le nouveau lieu n’en reste pas moins primordiale. »
Souvenir de Thal-Marmoutier – commune alsacienne où la famille a passé ses 3 premiers mois en France de fin décembre 2017 à mars 2018 – conservé par la famille.
DE LA CRAINTE AU SOULAGEMENT : LE MOMENT ESSENTIEL DE L’ACCUEIL
Comme le mentionne Kadjidja, le départ du centre transitoire en Alsace pour le Nord n’a pour autant pas été facile. « Nous nous sentions bien à Thal-Marmoutier. Nous y avons passé plus de 3 mois et avions créé nos repères, nous ne voulions pas les perdre. D’autant que nous partions loin et allions quitter les gens avec qui nous avions tissé des liens depuis notre arrivée en France en décembre 2017. »
L’arrivée en train à Douai a, à ce titre, été un moment important : « A notre arrivée, nous avons été complètement surpris de voir autant de personnes et de sourires nous attendre sur le quai. Se sentir attendu de cette manière, cela a immédiatement chassé notre stress ».
Et pour cause. La famille Parmentier – propriétaire de la maison – est venue au complet pour les accueillir à la gare, accompagnée de bénévoles. « Sachant que c’était l’anniversaire de l’aînée de la fratrie, une fête avait même été préparée pour l’occasion ». Une manière de les mettre définitivement à l’aise et de nouer d’emblée de premiers contacts chaleureux.
Un moment essentiel qui donne le ton, comme le souligne Amélie Adam, directrice adjointe de France Horizon Hauts-de-France. « Ce moment de l’accueil est essentiel quant à la suite de l’accompagnement. Il en construit les bases. S’il se passe bien, on peut être sûr que le processus d’insertion sera facilité. Au contraire, si le ressenti des personnes accueillies est d’emblée négatif, le parcours risque d’être bien plus difficile pour tout le monde ».
Un accueil chaleureux en gare de Douai – mars 2018 – avec la famille PARMENTIER, les bénévoles associés et Abdelkrim, travailleur social de France Horizon en charge de l’accompagnement social.
LE RELOGEMENT : UNE COOPÉRATION TRI-PARTITE POUR PRÉPARER UNE GESTION AUTONOME
« Propriétaire d’une maison inhabitée et désireux d’apporter notre soutien à celles et ceux qui en ont le plus besoin, c’est tout naturellement que nous est venue l’idée de la mettre à disposition d’une famille réfugiée contrainte de quitter son pays » raconte Mme Parmentier. Après que la DIHAL (Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement) ait orienté M. et Mme Parmentier vers France Horizon et que l’accueil prochain d’une famille fut enfin confirmé (car la patience est de mise), ils ont lancé un appel aux dons via la paroisse locale. « Cela a tout de suite pris ! Plusieurs personnes ont voulu s’investir dans cette aventure et nous avons reçu de nombreux dons pour équiper la maison. Meubles, électroménager, jouets, habits… mais aussi et surtout, du temps ! Car il y avait des travaux à réaliser et installer tout ça, pour que la maison puisse accueillir une famille. »
Pour autant, et dans une logique d’insertion pérenne, il ne s’agit pas là d’héberger la famille sans contrepartie. Cet hébergement se fait dans le cadre d’une convention tri-partite par laquelle M. et Mme Parmentier louent la maison à France Horizon qui la sous-loue à la famille Abdelbassit. Dès que la famille sera prête à gérer seule son logement, le bail glissera directement au nom de cette dernière qui assumera alors pleinement sa gestion comme le loyer. Un palier supplémentaire sera alors franchi dans son insertion.
Jardin de la maison louée par la famille Abdelbassit. Propriété de Mme et M. Parmentier, cette maison est louée – dans le cadre du bail glissant – à France Horizon qui la sous-loue à la famille accueillie. Lorsque cette dernière sera prête, le bail glissera alors directement à son nom après un bilan final réunissant tous les acteurs de ce processus.
L’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL PAR FRANCE HORIZON
Au-delà du relogement, c’est également un accompagnement social transversal qui a été déployé. Prenant le relais du suivi réalisé par France Horizon Strasbourg, c’est Abdlekrim, travailleur social de France Horizon Hauts-de-France, qui a poursuivi le travail social amorcé en Alsace.
« L’essentiel des premières démarches ayant déjà été réalisées à leur arrivée, la première phase de l’accompagnement a consisté à réaliser les transferts administratifs d’un département à l’autre – CAF, CPAM –, à scolariser les enfants – lesquels ont passé le test de niveau CASNAV avant d’être orientés dans les classes adaptées à leur niveau et leur âge – et l’ouverture de services indispensables tels qu’un compte bancaire, un accès internet, etc ».
Abdelkrim est également présent pour les aiguiller au mieux. « Ils posent beaucoup de questions sur la gestion de leur budget, la gestion des fluides, certaines procédures administratives. Mon rôle est de leur expliquer avec pédagogie. Beaucoup de chose sont nouvelles, notamment le chauffage dont les coûts ont déjà provoqué quelques surprises de leur part. »
En 3 mois, ils ont déjà beaucoup appris et la famille est déjà très à l’aise avec les nombreux acronymes « administratifs » qui accompagnent le quotidien de tout citoyen français. « Ah vraiment! En France, beaucoup de papiers… » constate Kadjidja , aussi devant l’avalanche de dossiers à traiter – actualisation de ce qui a été initié en Alsace oblige – les différentes tâches administratives ne semblent parfois pas avancer assez vite et les bénévoles se font un devoir de nous le rappeler.
Kadjidja confirme néanmoins qu’ils se « sentent bien » ici. « Avec l’aide et le soutien des bénévoles et de France Horizon, nous nous sommes construit rapidement de nouveaux repères et gérons notre vie quotidienne de manière autonome ». Leur intégration est en bonne voie, et pour cause, le soutien des bénévoles a également été un élément essentiel au lancement de cette nouvelle vie…
AU QUOTIDIEN : LE SOUTIEN ESSENTIEL DES BÉNÉVOLES
En effet, l’accompagnement ne peut-être qu’une œuvre collective et conjointement aux interventions de France Horizon, la famille Abdelbassit peut compter sur la proximité et le soutien de bénévoles locaux. En fait, ce sont eux en première ligne. Etienne et Pierrette, Paul, Béatrice, Patrice, Marie-Paule et Pierrot, Francine… outre la famille Parmentier : Denise et Henri, Odile et Christophe, Vincent, ils sont une dizaine à s’être investis depuis l’arrivée de la famille en mars 2018.
« Ils ont sûrement vécu des évènements traumatisants. Mais leur passé, en quelque sorte, ne nous intéresse pas. Ce qui compte, c’est la chance que nous leur offrons, à eux et à leurs enfants. On les a aidés à se créer des repères, à prendre confiance et aujourd’hui ils sont autonomes dans leur quotidien » confie ainsi l’un d’eux.
Ils se relaient également pour donner des cours aux enfants. Français, mathématiques, histoire-géographie… Toutes les matières ou presque y passent. « Et ils en veulent ces gamins, ils sont motivés, c’est agréable » précise Etienne, professeur des écoles à la retraite qui vient donner des cours de perfectionnement en français et de soutien scolaire trois fois par semaine.
Les bénévoles, par leur voisinage, sont également présents pour leur donner un coup de main au quotidien lorsque cela est nécessaire, voire urgent. Inscription au Centre aéré, aux Restos du Cœur, au Secours populaire et visites, à leur arrivée, des services et commerces indispensables, aménagement d’un petit jardin désormais entretenu par Djime, des besoins en réparation, etc. Scolarité, insertion locale, informations sur les droits et conseils divers… quand il y a un besoin auquel Kadjidja et Djime ne sont pas encore en mesure de répondre seuls, ils savent qu’ils peuvent compter sur eux.
Investis depuis décembre 2017, pour la préparation d’abord du logement puis pour soutenir au quotidien la famille accueillie, les bénévoles sont au total une dizaine à s’être engagés dans cette aventure.
CAP SUR L’AVENIR…
Après 3 mois de vie à Sin-le-Noble, l’intégration a bien fonctionné comme le confirme Kadjidja. « Nous nous sommes faits des connaissances et nous nous sentons bien. Avant d’arriver, nous ne voulions pas quitter l’Alsace. Maintenant, nous ne voulons plus partir d’ici ! »
Pour autant, il reste encore un peu de chemin à parcourir. « Le principal sujet restant à traiter, c’est l’insertion professionnelle » indiquent Abdelkrim et Amélie – France Horizon Hauts-de-France. Kadjidja, qui était à l’université en Centre Afrique, a beaucoup aidé les infirmières durant les quatre années passées dans les camps de réfugiés. « J’aimerais m’appuyer sur cette expérience passée pour mon avenir » précise-t-elle. « Nous allons engager le processus en s’appuyant sur les ressources locales en formation et en insertion professionnelle » indique Abdelkrim. Pour Djime, le projet reste encore à dessiner.
La plus grande de la fratrie, 18 ans, sera accompagnée par la mission locale dont l’une des spécialités est précisément l’insertion professionnelle de personnes réfugiées.
L’avenir, les bénévoles l’envisagent aussi, riche d’une nouvelle aventure. « On est motivé. Nous sommes prêts à accueillir une nouvelle famille ! Mais on ne voudrait pas que cela devienne l’usine. Il faut garder cette échelle humaine pour que cela fonctionne. »
Un apport confirmé par Abdlekrim et Amélie pour qui « les réseaux de bénévoles, très présents et très efficaces dans les Hauts-de-France, et avec lesquels nous travaillons régulièrement, sont susceptibles de jouer un rôle prépondérant dans le succès des processus d’insertion de ces publics confrontés au déracinement et devant construire rapidement leur autonomie ».
Une intelligence collective en ordre de marche qui appelle donc d’autres coopérations solidaires de ce genre dans un avenir proche.